Femme au volant, danger au tournant ?

Femme au volant, danger au tournant est un vieux cliché porté pendant longtemps par la gente masculine. Une campagne de la sécurité routière de 2014 a tenté de mettre à mal cette idée reçue en lançant un manifeste des femmes intitulé « Tant qu'il y aura des
hommes pour mourir sur la route, il faudra des femmes pour que cela change
 Ce manifeste rappelait notamment que 75 % des morts sur la route sont des hommes et que les femmes peuvent faire changer les choses, notamment en prenant le volant.

Comme toujours en matière statistique, ce pourcentage agrège des contextes différents, ce qui devrait nuancer les conclusions qu'il est possible d'en tirer. Certes, ce pourcentage est exact. En 2015, 857 personnes de sexe féminin ont perdu la vie sur les routes en France (24,8% des personnes tuées) et 2 604 personnes de sexe masculin. Parmi les 1 211 automobilistes tués au volant, on dénombrait également 75 % d'hommes.

Pour autant, si les hommes sont nettement plus exposés à la mortalité routière par un facteur multiplicatif de  3 au regard de leur population  (25 tués par million de femmes contre 80 pour les hommes), ce facteur n'est pas du même ordre si l'on considère uniquement l'exposition
des hommes et des femmes en tant que conducteurs et conductrices automobiles ?

Pour calculer cet indicateur de risque, il conviendrait de connaître le kilométrage parcouru par la gente féminine par rapport à celle masculine. Or cette donnée n'est pas connue avec précision. A priori, si l'on se fie au nombre de permis B délivré chaque année, les hommes devraient couvrir plus de kilomètres et donc être plus exposés au motif qu'ils sont plus nombreux à obtenir chaque année le permis B (55% pour les hommes - 45 % pour les femmes). A ce constat s'ajoute le fait mis en évidence par les recherches de l'INRETS1, que, lorsqu'elles ont le permis B, les femmes ont une mobilité spécifique comparée à celle des hommes. D'une part, les femmes travailleraient plus près de leur domicile. D'autre part, leurs motifs de déplacements seraient plus souvent des achats ou l'accompagnement des enfants. Elles réaliseraient ainsi en nombre plus de déplacements que les hommes. Mais les distances parcourues seraient plus courtes  car s'effectuant principalement en ville.  

Au total, le kilométrage annuel parcouru par les  femmes serait inférieur de 9% à celui par les hommes (11 560 km par an contre 12 720 pour les hommes) selon une étude SOFRES de 2010.

Par ailleurs, selon une autre source 2, les hommes sont plus nombreux à posséder une voiture. Ils laissent moins volontiers le volant. Ils occupent davantage des emplois en tant que chauffeurs et sont par conséquent plus exposés que les femmes dans les risques en
entreprise. Les hommes sont plutôt accidentés en mission et les femmes sur le trajet domicile/travail. De cette mobilité automobile différente, il en découle une exposition au risque routier différente. L'étude de l'INRETS précitée a ainsi montré que les femmes ont un risque d'accident par kilomètre parcouru supérieur à celui des hommes (9,9 accidents par million de km pour les conductrices contre 7,6 pour les conducteurs). Cette plus grande implication dans les accidents inclue les accidents matériels, conséquence des trajets plus urbains. Par contre, le risque d'implication dans un accident corporel est de 1,2 fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes et ce ratio atteint 1,9 pour les accidents mortels.

 Ce ratio confirmerait bien l'idée communément admise selon laquelle la femme présente un risque moindre mais sans pour autant en conclure qu'elles sont plus prudentes. Cette réserve découle de l'examen de la responsabilité. On constate une responsabilité des conducteurs masculins dans les accidents mortels à peine supérieure à celle des femmes (58% contre 52%). De surcroît, cet écart provient en grande partie  du facteur alcool qui pèse un tiers dans la responsabilité des hommes et seulement 10% dans celle des femmes. L'alcool au volant est essentiellement un problème masculin : Parmi les conducteurs impliqués dans un accident mortel, 90% sont des hommes.

L'autre facteur est la vitesse excessive qui pèse également un tiers chez les hommes et seulement un cinquième chez les femmes. La ventilation des retraits de points au regard des niveaux de vitesse permet de constater que les femmes commettent peu d'infraction d'excès de grande vitesse et d'infractions à retrait de points supérieurs à deux mais qu'elles commettent autant de petites infractions (retrait de deux points ou d'un point).

Au regard des femmes, le danger majeur d'un homme au volant est donc sa proportion à prendre des risques (conduire malgré l'emprise
de l'alcool ou d'un stupéfiant, excès de vitesse, négation de la fatigue au volant, ..). Des études de l'INRETS4 ont montré que l'identité sexuée influence la prise de risque par l'intermédiaire d'un certain nombre de variables. Outre les stéréotypes, la conformité et la justification par le bien-être d'autrui de la conformité à la règle sont plus importantes chez les individus féminins, ces deux facteurs inhibant la prise de risque. La recherche de sensations, plus importante chez les garçons, confirme son rôle dans la prise de risque tandis que l'anxiété face aux dangers physiques, plus importante chez les filles, se révèle être un bon prédicteur des comportements à risques, aussi bien en tant que piéton que deux-roues.

Alors d'où vient ce cliché qui, malgré tout semble s'estompé ?

L'analyse des accidents montre que les femmes sont plus exposées à des erreurs de conduite, notamment parce qu'elles sont souvent
des conductrices occasionnelles, circulant plus souvent dans un véhicule d'occasion5. Les femmes sont aussi plus souvent que les hommes amenées à jongler avec les horaires, assurant la charge de l'articulation entre contraintes familiales et contraintes professionnelles. Elles seraient ainsi plus susceptibles de distraction, d'une mauvaise perception, d'une mauvaise interprétation ou d'une mauvaise réaction. Les observations sur l'usage du téléphone portable confirment ces hypothèses. 30% des points perdus pour conduite en téléphonant le sont par
des femmes.

A tout âge de la vie, deux dimensions expliquent la plus forte mortalité masculine : l'exposition au risque et la prise de risque. Certains indices permettent de penser que les spécificités hommes/femmes constatées pourraient néanmoins s'atténuer :

-  la part des femmes utilisatrices principales d'un véhicule augmente régulièrement depuis dix ans 5.

-   concernant les retraits de points, la tendance est à la hausse pour les infractions commises par les femmes. On constate ainsi que la proportion de conductrices concernées par un permis à solde nul augmente  alors qu'il a baissé pour les hommes.

Par ailleurs, la part de la mortalité des conductrices âgées de plus de 65 ans augmente également.

Néanmoins, il subsiste une résistance féminine à la prise de risque et aux comportements infractionnistes et une tendance de fond naturelle  qui serait à l'origine  de la prudence des femmes au volant et d'une certaine agressivité chez les hommes, ce qui pourrait justifier de donner la parole aux femmes en direction des hommes pour des messages de sécurité.





1 Exposition
au risque routier - INRETS - Juillet 1999 - Hélène Fontaine


2 Réflexions sur les usages sexués de l'automobile en France aux XIXe et XXe siècles. Femme au volant, figure de l'urbanité ? Françoise Blum - Revue d'histoire urbaine - I.S.B.N.2914350112


4 Revue de questions sur le continuum éducatif - Janvier 2005 - Jean-Pascal Assailly


5 Enquête SOFRES Parc auto 2010






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