Faut-il supprimer les feux rouges ?

Cette interrogation a fait la une de la presse en ce mois de février 2017 suite à l'annonce de la ville de Paris de tester, dans le cadre de son plan Piéton, la suppression de certains feux sur un quartier pilote. La ville de Paris met en avant la dangerosité des feux tricolores. La Métropole de Bordeaux envisagerait également de supprimer 300 carrefours à feux pour des questions également de sécurité des piétons, Cette défiance envers les feux tricolores s'est déjà traduite parl'autorisation récente faite aux cyclistes de franchir certains feux rouges
signalés à cet effet.

Ce haro sur les carrefours à feux a de quoi surprendre, d'autant que l'argument principal est d'améliorer la sécurité des piétons. Les carrefours ne sont-ils pas apparus au début du 19ème siècle justement pour faciliter leur traversée face à un trafic automobile croissant et ainsi mieux gérer les flux motorisés ?

Il est vrai que des études ont montré dans les années 70 que les carrefours à feux pouvaient s'avérer particulièrement dangereux sur les routes hors agglomération. Mal respectés, mal vus, abordés à des vitesses trop grandes,  ces carrefours occasionnaient des accidents meurtriers. Ils ont pratiquement disparu dans nos campagnes au profit des carrefours à sens giratoire qui se sont multipliés à partir des années 1980, au moment où la réglementation a imposé la priorité à l'anneau dans ce type de carrefour.

Petit à petit, ces carrefours à sens giratoire ont gagné les villes, principalement les zones péri-urbaines, pour se substituer à certains
carrefours gérés par des feux tricolores. Dans les centres urbains, les zones 30 puis les zones de rencontre se sont développées à partir des
années 2000, limitant la circulation automobile et accordant aux piétons davantage de place. Ces zones, par leurs aménagements, amènent une réduction du trafic automobile, et du coup permettent la suppression des feux tricolores. Est-ce-que ce sont uniquement ces carrefours qui sont visés par les effets d'annonce des villes de Paris ou de Bordeaux ?

Toujours est-il qu'aucune étude récente n'a été menée pour faire un état des lieux précis de l'accidentalité des carrefours urbains en relation avec le type de carrefours et les catégories d'usagers concernées. La dernière synthèse des connaissances sur la relation entre type de carrefour et accidentalité date de 1992 (Sécurité des routes et des rues) [i].

Les affirmations avancées pour supprimer les feux tricolores selon lesquelles les automobilistes feraient davantage attention lorsqu'ils se rapprochent d'un passage piéton et que  les piétons seraient plus vigilants lors de leur traversée, sont simplement des ressentis d'usagers. De surcroît,  des critiques sont aussi exprimées pour d'autres types de carrefours : les carrefours à sens giratoire sont décriés par les piétons qui ont du mal à traverser, les automobilistes étant occupés par leur tâche de gérer la priorité. Les mêmes griefs peuvent être évoqués pour les carrefours à priorité à droite ou à « cédez le passage ». En fait, nous avons tous des expériences en tant que piéton pour avoir eu des difficultés à traverser, et ceci quel que soit le type de carrefour.

L'explication vient essentiellement de la conception même du carrefour qui a été dessinée pour favoriser la fluidité de la circulation, le plus souvent au détriment la circulation piétonne, contrainte souvent à s'écarter du carrefour pour trouver le passage piéton. Pourtant, il existe un guide de conception des carrefours urbains [ii]. Sa première version date des années 80. Il a été mis à jour en 2010. Ce guide donne les règles de l'art dans le choix du type de carrefour en fonction des critères d'environnement et de trafic. Il indique aussi la conception géométrique à respecter et les équipements à installer (signalisation, barrières, ..). Des bonnes pratiques simples d'aménagement, efficaces pour assurer la sécurité des traversées piétonnes, y sont dispensées qui semblent méconnues ou ignorées des praticiens de terrain.

Concernant les carrefours à feux, la réglementation a évolué en 1991 avec une mise en conformité qui devait être faite au plus tard en 2001. Cette réglementation visait à améliorer la compréhension de la signalisation, à réajuster leur fonctionnement  à la demande, à prendre en compte les temps de sécurité pour les piétons, à modifier la géométrie du carrefour, à simplifier le fonctionnement des feux et enfin à mettre à niveau le matériel. Un guide avait même été produit en 1999 [iii] pour rappeler l'obligation de mise en conformité car cette mise en conformité n'avait toujours pas été faite à cette époque dans la plupart des villes et c'est encore vrai pour beaucoup de carrefours à feux.
Ce guide proposait une aide au diagnostic des installations et il avait été suivi à l'époque d'un guide de conception.[iv]

Qu'en est-il en 2017 ? Il suffit de regarder autour de soi les nombreux travaux de voirie qui s'effectuent dans nos villes pour constater que les bonnes pratiques proposées par ces guides techniques ne sont pas suivies et que les erreurs d'aménagement du passé se perpétuent au détriment de la sécurité des piétons et des autres usagers. Il suffit également d'observer le fonctionnement de beaucoup de carrefours à feux pour constater, soit la vétusté du matériel, soit le fait que les cycles de feu n'ont pas été changés depuis très longtemps alors que les trafics ont évolué.  Les technologies ont également évolué, en particulier les feux à décompte du temps pour les piétons ainsi que les voitures. Il y a aussi des feux qui s'adaptent à la présence de trafic.

Ces nouveaux équipements étant coûteux à  l'achat comme en maintenance, on voit la tentation des villes de supprimer certains feux, d'autant plus, qu'aucune norme d'aménagement des routes et des rues n'est opposable à une collectivité territoriale à l'exception d'une seule portant sur les ralentisseurs de type dos d'âne ( le plus souvent peu respectée !!).

Supprimer les carrefours à feux n'est donc la bonne question à se poser si l'objectif est d'améliorer la sécurité des piétons et la fluidité du trafic. Ce n'est évidemment pas la réponse appropriée à l'augmentation de plus de 16% en trois ans de la mortalité piétonne et au fait qu'un piéton tué sur deux en ville a plus de 65 ans.[v].

Face à l'évolution des modalités de déplacement en ville, à la place importante que l'on souhaite accorder aux cyclistes, à la difficulté que rencontrent les personnes âgées de plus en plus nombreuses à marcher sur nos trottoirs et à traverser, il est urgent que chaque ville procède à un diagnostic de tous ces carrefours et applique les règles de base pour assurer la sécurité des traversées piétonnes quel que soit le type de carrefour. 

Les collectivités territoriales sont-elles enfin prêtes enfin à faire cet effort ? Rien n'est moins sûr lorsque l'on examine un exemple récent, à
savoir la mesure réglementaire proposée par le Plan d'action « mobilités actives » (PAMA) [vi], qui introduit une caractéristique technique obligatoire dans le code de la voirie routière interdisant d'aménager une place de stationnement sur une certaine distance en
amont d'un passage piéton. Cette mesure a tout simplement été repoussée par les parlementaires en 2015 alors qu'une amende a été
introduite à la même date, dans le cas de stationnement à moins de 5 mètres d'un passage piéton (article R 417-11 du code de la route). Cette amende est très lourde puisqu'elle est de 4ème classe. Ne devrait-elle pas s'appliquer aux villes qui autorisent le stationnement (souvent payant)  à moins de 5 mètres d'un passage piéton.

Le livre blanc de la sécurité routière de 1989 [vii] proposait d'instituer un contrôle de sécurité  obligatoire périodique des routes et des rues par un organisme indépendant. Cette mesure repoussée par le parlement dans les années 90 alors que le dispositif
était opérationnel, n'est toujours pas d'actualité. Alors que les conducteurs sont régulièrement contrôlés, que les véhicules passent également un contrôle technique tous les quatre ans, il serait temps que les voiries routières fassent aussi l'objet d'un contrôle afin de s'assurer qu'elles répondent à un minimum d'exigence de sécurité, C'est une nécessité d'autant plus grande que ces exigences sont connues et diffusées dans des guides qui n'ont hélas aucune portée réglementaire.







[i] Sécurité
des routes et des rues - SETRA-CERTU septembre 1992



[ii] Carrefours
urbains - guide de conception - Mise à jour en 2010 - CERTU



[iii]Mise en conformité des carrefours à feux

Aide au diagnostic des installations



[iv] Guide
de conception des carrefours à feux - CERTU  - Décembre 2010



[v] Bilan provisoire
de l'accidentalité 2016 - ONISR



[vi] Plan d'action
pour les mobilités actives - Fiches - CEREMA - Décembre 2016



[vii] La sécurité routière : livre blanc présenté au Premier ministre -
documentation française - 1989




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